Il était une fois un gentil époux qui, pour des besoins professionnels, devait pour un aller-retour express aux USA prendre le Concorde.

C'était en 1988 et Jean-Louis s'était promis qu'un jour il m'offrirait le plaisir qu'il avait eu lui-même en prenant le bel Oiseau blanc.

J'étais, je l'avoue, un peu sceptique, mais lorsque Concorde s'est mis - pour être rentabilisé - à faire un vol bouclé à MachII au-dessus de l'Atlantique, Jean-Louis a voulu m'y inscrire et alors j'ai refusé, n'ayant aucune envie de partager seule ce moment. Et puis il y a eu la catastrophe qu'on connaît de juillet 2000 et l'arrêt de son exploitation pendant un an. Et enfin cette décision brutale, après la reprise, la guerre d'Irak passant par là, d'interrompre définitivement l'exploitation du Concorde qui a conduit Jean-Louis à m'inscrire en guise de cadeau de fête des mères à un des tout derniers vols initiatiques et à m'offrir l'un des plus beaux cadeaux qui soient : celui de tenir une promesse vieille de quinze ans !

Mais comme rien ne se passe normalement pour moi, le mardi 27 mai choisi fut celui de l'annulation du vol en raison de la grève des personnels au sol de Roissy ! Ce n'est que le soir que la compagnie m'a annoncé que le vol était remis au jour de l'Ascension ! quel symbole !

Jeudi.  le ciel est d'azur : c'est un temps idéal pour apprécier comme il se doit un tel vol ! Me voici seule dans les salons réservés encore pour peu de temps à Concorde : champagne et apéritifs divers sont offerts sans retenue ! très vite je repère deux femmes dont l'une est tout particulièrement volubile ! Pour une fois, moi qui suis plutôt réservée, je me mêle à la conversation et je tombe sous le charme de Joëlle, membre actif de soutien à la continuité au moins sous cette forme de l'exploitation de l'avion. Elle sait tout : une vraie encyclopédie et me décrit le vol du décollage à l'atterrissage en me suppliant surtout de bien apprécier chaque seconde de l'événement. Nous sommes dans deux compartiments différents, elle à l'avant et moi plutôt à l'arrière sur l'aile delta et très gentiment elle me propose de prendre sa place au décollage pour avoir une vue complètement dégagée.

Le co-pilote paraphe le livre de André Turcat offert pour l'occasion. Comme je l'ai laissé à mon époux pour libérer ma seule main libre, c'est sur mon billet que F Lapersonne apposera son paraphe; billet que je récupère heureusement à l'embarquement !

Ca y est : nous y sommes ! J'étais prévenue par Jean-Louis que l'habitacle était singulièrement étroit : c'est vrai il y 4 fauteuils par rangée séparés deux à deux  par l'allée centrale, mais il y a beaucoup de place pour les jambes et le siège est très confortable ! je suis côté hublot (minuscule) ! une fois les passagers presque tous installés (nous avons fait le plein et il ne manque personne bien que six passagers du 27 aient dû renoncer à leur vol et laisser la place à des gens en file d'attente), je me précipite à l'avant pour le décollage : comme promis Joëlle me laisse volontiers sa place près de sa sœur Jeanine. Ce dernier s'effectue semble-t-il tellement doucement que l'on ne sent aucune secousse, et pourtant en trente secondes nous sommes déjà à 350 km/h et puis les réacteurs s'arrêtent brusquement et l'avion soudain me paraît en apesanteur ! tout cela sans le moindre à-coup. Puis le commandant remet les gaz et il commence à grimper très vite ! le machmètre évolue rapidement de 350 à 900 km/h : je quitte ma voisine pour rejoindre ma place et découvre alors mon voisin qui se révélera être l'ours le plus mal léché qui soit ! même pas un salut à mon aimable bonjour ! il s'installera dans une conversation   à bâtons rompus avec un autre passager  sans me manifester le moindre égard ! Joëlle d'ailleurs m'a plainte plus tard d'être tombée sur un tel voisin, le seul manifestement à ne prendre aucun plaisir dans ce vol ! Comme malgré tout elle l'aura fait parler (quel exploit !) j'apprendrai que c'est un ancien pilote de ligne complètement blasé qui avait bénéficié d'une opportunité !

Très vite d'ailleurs une atmosphère de fête, une ambiance de départ en vacances par comité d'entreprise, s'installe !  les membres de bord sont tout sourire et empressés sans aucune affectation, prenant volontiers en photo qui en fait la demande ! Pourtant on les sent émus : c'est leur dernier vol à bord du bel avion.

Le passage à Mach II salué par des applaudissements se passe sans aucun frémissement ! J'ai l'impression que nous volons littéralement dans la stratosphère puisque nous grimpons à 17.000 km ! seul le machmètre commente la situation.

Un repas au champagne est servi ( repas hélas peu apprécié puisque incapable d'utiliser mes deux mains convenablement) très rapidement pour permettre à chacun d'aller visiter le poste de pilotage. Je demande à l'un des stewards si je peux garder un souvenir ! il ferme les yeux sur la petite cuiller et le rond de serviette mais je sais que je ne suis pas la seule à agir de la sorte ! Nombreux sont ceux qui voudront  garder un souvenir tangible de cette aventure.

Enfin comme Joëlle me le propose de nouveau, je retrouve l'avant pour l'atterrissage ! or, rien ne se passe comme prévu. Jean-Louis de même que Joëlle,  qui avait déjà participé à un vol bouclé il y a trois ans, m'avaient prévenue qu'il me faudrait me tenir au dossier avant pour limiter la poussée en avant provoquée par l'atterrissage "vertical" de l'avion. Depuis les modifications imposées par l'accident de juillet 2000, ce dernier s'effectue par paliers et seules mes oreilles sont sensibles à  la puissance de la décélération.

A l'aller, nous avions pu observer sur la route nationale de Goussainville les nostalgiques du Concorde venus expressément le saluer avec des panneaux et des drapeaux (la gendarmerie a même pour la circonstance abandonné cette parcelle de route pour les derniers jours de l'avion supersonique à ses aficionados attristés), mais au retour toute à mon émotion je ne regarde pas par le hublot !

Nous reprenons le contact du sol aussi doucement que nous l'avons quitté sous les applaudissements des passagers. Je quitte à regret l'avion, son équipage et mes nouvelles relations, munie toutefois d'un beau "diplôme" pour le double passage du mur du son !

Je prends une dernière photo du Sierra Delta (c'est son nom de baptême) dont je ne  vois que le célèbre nez articulé depuis le couloir de sortie.

Ces cent minutes se sont écoulées comme dans un rêve ! pourtant nous avons accompli  une boucle de 1800 km au-dessus de l'Atlantique ! je crois que nous sommes tous conscients que nous avons vécu un moment inoubliable, qui ne se répétera sans doute jamais en tout cas pour moi !

Détail amusant : à l'aller tout comme au retour il a fallu pour un "vol bouclé" présenter des papiers d'identité !!!

Je rejoins mon mari en gardant toujours cette impression de flotter : la magie se poursuit encore et à part un chaleureux remerciement pour cet énorme cadeau, je garde le silence pour continuer d'en apprécier toute la saveur.

Adieu Bel Oiseau ! tu auras marqué la fin du vingtième siècle et le début du vingt et unième parce que tu auras été par la technologie dont on t'a doté aussi acclamé que décrié mais tu resteras pour longtemps inégalé.

 

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Le 30 mai le Concorde décollait de Roissy pour un dernier voyage commercial en direction de New York !

 

Toni : 31 mai 2003